L'homme à la poupée

Publié le par bituic


Il est rentré à Louvre-Rivoli, une poupée à roulettes par devant.
On regarde d'abord la poussette et l'on voit un sucre-d'orge endormi.
Ca semble beau et chaud à l'intérieur, mais les yeux de l'enfant fixent au-dehors, pris dans une demi-fermeture.
L'air doux se brise sur ce regard figé, on croit l'enfant malade, cassé.

Puis, on entend des rires.
Et la brusquerie du monde autour.

L'homme qui porte la poussette s'est assis dos à un groupe moqueur.
Et je comprends quand je le vois qui s'ébroue.
Il ramène très vite ses coudes au-dessus de sa tête et les agite vivement. Ca le prend plusieurs fois de suite et ça fait l'effet d'un hélicoptère. Au même moment, il pousse un léger cri, presque un simple raclement de gorge.

Il a cette secousse, et il entend les rires. Il a des membres qui pulvérisent l'espace, et qui griffent la décence sociale. Il est plein de honte, parce que lui, il a dû prendre ce métro, avec sa poussette, et il voudrait être immobile. Mais ses deux bras font tout ce qu'ils veulent. Ils impriment deux gros guillemets sur sa tête qui signalent avec toute la permanence du clignotant:
"Ici homme bizarre, gesticulant pour rien, pauvre fou".

Comme il est calme. Il choisit d'organiser son blackberry pour faire passer ça. C'est aussi une manière de pencher la tête. Il connaît ça. Il respire et se concentre sur tout sauf sur ce que les autres pensent. Il s'avance aussi vers le berceau. Elle est vraiment étrange la petite, elle fait pas tout à fait vivante. Il la regarde avec protection, avec attention; il faudrait pas qu'elle les entende...

De son geste, il chasse les rires et on dirait qu'il voudrait s'envoler. Attrapper d'un bras la blessure au visage de sa poupée, pulvériser les secousses nerveuses et sauvages des imbéciles, et fendre l'air par le grognement et la puissance de ses deux hélices.
Mais ce ne sont que des soubresauts qui le reprennent dès que le groupe de gens s'amuse.

Je les observe tous les quatre, ils sont humains. Ils ne ressemblent pas du tout à des monstres. Ils nous ressemblent. Mais, ils sont heureux de provoquer ces tremblements. Ils sont surpris même que toute la rame n'en fasse pas autant. 
Et ils n'en peuvent plus de rire ! Non, vraiment, c'est trop ! Qu'est-ce que c'est marrant ! Ils vont pouvoir raconter ça le soir même !
Ils sont tellement sincères que je me demande si moi non plus, en les entendant je n'aurais pas ri:

Un orang-outang basculant la tête au sol,  avec des grands bras qui s'affolent...

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